Reflets dans l’eau
Les nuages caracolent
sur les pierres dorées
Le silence descend
La lune se prépare
Incandescente
Nicolas Bouvier
Ecrivain voyageur
A écrit un jour
« La Vallée Verzasca
ressemble au Fleuve Tatu
en Chine »
C’est mon paysage
J’y reviens souvent
Les photographies sont de Michèle Tatu, chroniqueuse de cinéma pour Factuel.info. Elles sont exposées à La Citronnade, un Café-Cantine, mais aussi un espace de rencontres fondé par Hind Abou-Hassan et Matthieu Jacob. La décoration est ingénieuse, faite de clins d’œil à plusieurs univers, à plusieurs époques… Par exemple, on trouve un vieux gramophone, une boite à graines, des livres à prendre ou à échanger… On pourrait avoir l’impression que la déco est faite de bric et de broc, en réalité, elle a visiblement été pensée pour réunir, mettre en accord… sans luxe (ce n’est pas le genre de l’endroit), avec beaucoup d’ingéniosité et d’humanité. L’accueil fait par Hind est à l’image de l’endroit ou, plus probablement, l’endroit est à l’image de Hind. Chaleureuse. À La Citronnade, on peut lire, travailler, manger… Petite originalité, il y a aussi une belle salle dans laquelle on ne peut entrer qu’après avoir ôté ses chaussures, parce qu’elle est couverte de tapis, de coussins… les conditions idéales pour écouter un conteur, par exemple, après avoir dégusté une succulente soupe marocaine.
La Citronnade, un bon endroit (19 rue Ronchaux) pour accueillir quelques-unes des photographies que Michèle Tatu rapporte de ses voyages.
Un œil ouvert sur le monde et sur les autres
Sud de la Tunisie
Aux portes du Sahara
Des dunes de sable blanc
A la lisière du Grand Erg
Départ des méharées
Terre aride.
Désert de feu
Se taire
Prendre du sable
Dans les yeux
Reprendre la route
Chaude et fumante
Michèle Tatu est un œil ouvert sur le monde et sur les autres. Ce monde et ces « autres », dont elle part à la recherche avec un regard acéré, souvent bienveillant, parfois critique, elle en restitue des parcelles de vérité, en montre la complexité, en fouillant ce qu’en dit le cinéma.
Mais pas uniquement.
Un trésor de notre patrimoine culturel régional
Commençons par le cinéma. Il faut ici rappeler qu’elle est l’auteure d’un opus intitulé Balade cinématographique en Franche-Comté, (Éditions ERTI) un véritable trésor de notre patrimoine culturel régional. De très grands films y ont été tournés. Nombre de Pontissaliens ou d’habitants du Haut-Doubs y ont fait de la figuration. Nos paysages de neiges, nos fermes, ont été magnifiés.
Paul Crauchet l’a préfacé.
Michèle Tatu, écrit-il, nous conduit sur les lieux que les cinéastes ont choisis pour servir de cadres à leurs histoires. Elle conte. Elle raconte.
Ouvrez les yeux, tendez l’oreille, vous apprendrez que le « Sauget » est rieur, et aussi ce qu’est un Sauget. Elle dira qui est Rico, mon copain et tous ceux qui ont tourné dans Les Granges Brulées. Vous apprendrez que Pontarlier fut la capitale de l’absinthe. Vous allez rencontrer de grands cinéastes, de grands acteurs, pêle-mêle, Alain Tanner, Claude Sautet, Jules Dassin, Michel Simon, Simone Signoret, Alain Cavalier, Bernard Blier…
Vous allez parcourir cet admirable pays, des montagnes enneigées du Haut-Doubs aux secrets méandres de la Loue, Ornans, Courbet (héros de la commune de Paris !) qui vous invite à regarder ce peuple de travailleurs. Vous apprendrez comment Jules Dassin a réussi à faire prendre Dole pour Cracovie grâce au grand décorateur Alexandre Trauner.
Mais je cause, je cause.
Allons, messieurs dames, avancez, ouvrez ce livre, entrez dans cette grande boutique de mots. Chut ! Ecoutez… REGARDEZ… le meilleur est à venir.
Des mots… des photographies et des lomographies. Émouvantes parce que témoins d’un temps révolu, néanmoins emmagasinées dans notre mémoire. Des photographies qui ouvrent sur d’autres images, plus intérieures. Il y a celle prise par Michèle Tatu, qui montre Le Grandvaux, sous la neige et sous un ciel de neige. L’église et son cimetière…
Une photographie d’Alain Delon et de Simone Signoret dans La Veuve Couderc. (Collection Michèle Tatu)
Alain Delon est au centre de la photo, Simone Signoret à droite, les deux sont en quelque sorte séparés par deux gendarmes vus de dos et même, on sent dans la photo que si les deux gendarmes font un pas en avant, ce sera pour s’emparer d’Alain Delon.
Et l’on retrouve Pierre Bichet, à la Brasserie de la Poste à Pontarlier, une lomographie de Michèle Tatu. De superbes photographies du tournage de Le Miracle des loups, photographies sorties de la collection de Pierre Bichet.
Une institution : le Ciné-Club Jacques Becker
Tant d’autres grands films et tant d’autres photos ! Dont celle, encore, de Pierre Blondeau, le fondateur du ciné-club Jacques Becker. Sur cette photo prise par Gaby Chagrot, Pierre Blondeau a des allures de Messie, large sourire, chevelure blanche, un doigt dressé vers le ciel et regard aveugle. Et une question. Grâce à quelle magie ce regard devenu aveugle a-t-il réussi à rester si vif pour continuer à parler, à aimer, à regarder le cinéma ?
Il parait que l’ouvrage Balade cinématographique en Franche-Comté est épuisé. Comment faire pour qu’il soit réédité ? Que cette mémoire ne se perde pas ?
Le cinéma, un outil de mémoire et d’ouverture sur le monde
Concernant le cinéma toujours, un autre opus écrit en collaboration avec Denis Bépoix : HISTOIRES du CINÉMA à BESANÇON. 1895-1995. Le cinéma, est-il écrit dans la quatrième de couverture, s’impose à Michèle Tatu comme un outil de mémoire et d’ouverture sur le monde.
Une photographie de l’Atelier d’Antoine Lumière, 59 rue des Granges, photo prise par Jean Bevalot.
Et c’est avec émotion que l’on découvre, ou redécouvre une histoire des Frères Lumière, comment certains lieux bisontins ne peuvent que rester imprégnés de l’inventivité et de la passion des deux frères. Gaston Coindre, dans son ouvrage Mon vieux Besançon et cité par les deux auteurs, parle ainsi d’Antoine Lumière : « En un appentis qui lui servait d’atelier, j’ai connu un très modeste photographe, quelque peu artiste, doué d’une superbe voix de basse qu’il prodiguait à travers ses sociétés, en 1869-1870 ; le meilleur garçon du monde. Singulière, l’aventure de cet archimillionnaire tirant alors le diable par la queue, aujourd’hui célèbre dans le monde entier par son industrie photographique, Lumière ! »
Une histoire de l’évolution du cinéma… et des photographies de ses salles, dont presque toutes n’existent plus. Le CG, Le Styx, Le Vox, Le Montjoye, le Buiding, Le Paris…
Un clin d’œil au cinéma militant. Le Centre Culturel Populaire de Palente-Orchamps nait en 1959. Au début des années 60, cette association – qui s’appuie sur l’idée d’une culture populaire – développe le cinéma dans le quartier de Palente avec notamment la projection de nombreux films à caractère social.
Et un rappel de l’historique de la création et de la naissance du Groupe Medvedkine, du nom du réalisateur russe qui circulait en train pour filmer la réalité quotidienne de son pays.
Godard rencontrant un ouvrier, Paul Cèbe...
Une anecdote succulente rapportée par Chris Marker lors d’un entretien qu’a eu avec lui Michèle Tatu, en date du 23 mars 1995. « J’avais travaillé avec Godard sur “Loin du Vietnam” poursuit Chris Marker. Godard n’avait jamais vu un ouvrier. J’ai présenté Paul Cèbe, un des fondateurs du CCPPO, à Jean-Luc dans un bar parisien. Ils sont restés l’un en face de l’autre sans se dire un mot pendant une heure. On aurait pu faire un plan fixe d’une heure sur Godard et un ouvrier ! »
Également un entretien du 23 décembre 1994 avec Henri Traforetti, militant syndicaliste, membre du Groupe Medvedkine, et devenu peintre aujourd’hui. Factuel s’est fait l’écho de sa dernière exposition.
Une photo des archives du Groupe Medvedkine montre des ouvriers apprenant à se servir d’une caméra.
Une photo de la collection de Bernard Faille, prise en 1974. Celle des ouvriers de Lip votant à main levée, la reprise du travail.
Une photo de Bernard Faille, prise à Planoise. Le quartier est encore en construction. Sur le tournage de L’Invitée, Michel Piccoli et Joanna Shimkus.
Une cartographie des 16 salles de cinéma à Besançon en 1992. Dans la Boucle, et hors la Boucle. Celles qui fonctionnent et celles qui ont fermé…
Cet autre opus sur l’histoire du cinéma, à Besançon cette fois, est lui aussi épuisé. La même question se pose : comment faire pour que ce travail de mémoire ne tombe pas dans les oubliettes ?
Un regard sur le monde, une plume et une voyageuse
La petite maison rouge
Et la montagne bleue
L’infiniment petit
L’infiniment grand
Qui sait ?
Ceux qui voyagent
en Islande
cherchent peut-être
à se perdre
dans les paysages glacés
pour trouver la solitude…
Fondus enchainés
Michèle Tatu, c’est aussi une plume. Une voyageuse également. Des ses voyages, elle ramène des photographies. Celles qui illustrent ce texte et les murs de La Citronnade, en sont un tout petit exemple.
Auteure des deux livres cités plus haut, elle est aussi l’auteure d’un recueil de nouvelles, Fondus enchainés. Une très belle photographie, due à Jack Varlet, en illustre la couverture. Nous sommes à l’entrée d’une salle de cinéma. Les lumières sont éteintes, le film a commencé. Dans la pénombre, on devine la travée de droite et la travée de gauche qui sont occupées par des spectateurs attentifs.
L’allée centrale conduit au grand écran sur lequel une femme est allongée…
Il ne reste plus qu’à tourner les pages. Neuf nouvelles, qui ont toutes pour cadre, pour motif, un film, une salle de cinéma, un élément d’un film, un ailleurs…
Comme dans la nouvelle, L’écran, sous-titrée Sur la beauté des ombres au tremblement de la lumière.
J’ai vécu quelques années en Norvège. J’ai découvert Oslo au moment de mon mariage avec Lena. J’aimais ma femme. Nous passions de belles soirées dans notre petite maison en bois, à quelques minutes du centre-ville. Lena m’avait fait découvrir l’hiver, les nuits glacées et le râle du vent dans les arbres.
[…]
Parfois nous faisions de longues promenades dans la neige. Nos pas crissaient sur les chemins gelés. Les cristaux de givre dessinaient de mystérieuses calligraphies sur l’écorce des arbres. Les branches ébouriffaient le ciel marine de leurs motifs étincelants. Nos bouches engourdies par le froid se taisaient devant tant de merveilles. Lena portait un manteau noir cintré. Ses épaules disparaissaient sous un grand châle qu’elle nouait autour de son cou. Son air tragique et son visage lisse me faisait penser à Ingrid Bergman.
[…]
Un jour, pourtant, Lena m’a quitté.
[…]
Je cherchais le souvenir de Lena. […] Je l’imaginais, ordonnant minutieusement de petits mensonges, comme Stephane Audran, dans La Femme infidèle de Claude Chabrol. Je l’imaginais comme Jeanne Moreau, femme scandaleuse des Amants de Louis Malle trompant mari et amant avec un jeune inconnu rencontré la veille ou rieuse comme Catherine, aux bras de Jules et Jim (Jeanne Moreau encore) lors d’une promenade champêtre filmée par la caméra légère de François Truffaut. Les films en noir et blanc me rapprochaient de la vie et de sa couleur grise ; cela coïncidait à mes états d’âme.
Dans La robe, le narrateur raconte :
À la recherche de l’émotion rare, je me rendis à l’Hôtel Drouot, où l’on vendait des vêtements ayant appartenu à des stars de cinéma. Un ami m’avait vanté l’événement. J’étais curieux. Je ne cherchais pas l’objet idéal. Comment dire ? Je pensais tout au plus ouvrir une parenthèse à mes longues rêveries solitaires.
[…]
- Maintenant, une robe portée par Aurore Clément dans Lacombe Lucien. Une robe en crêpe couleur champagne, mise à prix 100 francs annonça d’une voix assurée le commissaire- priseur. […]
Je sortis comme un voleur. Il était quinze heures. La rue était tranquille. La chaleur écrasait le bitume. Je me suis engouffré dans le métro. Une demi-heure plus tard, je suis arrivé chez moi. J’ai escaladé les escaliers à toute vitesse. J’ai ouvert la porte et l’ai refermée avec le même empressement. J’avais hâte de défriper la robe. D’être seul avec l’objet de mes rêves. Une sensation nouvelle m’attendait. Le vêtement porté a aussi son histoire, comme le livre lu. J’éprouvais la même sensualité en dépliant un vêtement qu’en feuilletant un livre rare.
[…]
Je me lève. J’arpente mon appartement avec nervosité. La robe beige ondule et tourne au rythme de la musique. Elle passe et repasse devant la lumière de l’abat-jour. J’entrevois les jambes d’Aurore Clément. On frappe. Je ne bouge pas. Je me tais. Je ne veux pas que quiconque puisse soupçonner la présence de l’artiste. La robe effleure sa peau. Nous sommes seuls. Je m’approche d’elle :
- Acceptez-vous de boire un peu de Champagne Mademoiselle ?
Ombres et lumières,
Le vert exulte
Baignoires naturelles
Tumulte de l’eau
Trace immémoriale
Du vent
Usure de la pierre
Ocre, rouille,
Blanc obsidienne
L’alphabet du silence
Arpenter pour déchiffrer
Photographier !
Encore du texte et des photographies.
La fille de l’arrêt de bus.
Les textes sont de Michèle Tatu. Ils commentent de façon poétique des photographies de Jean-Christophe Laurent. Textes et photographies sont réunis dans l’album de l’exposition qui a eu lieu du 11 février au 15 mars 2015, à Chalon-sur-Saône. Une étrange histoire y est racontée. Celle de La fille de l’arrêt de bus.
Des lambeaux de nuages filent à vive allure au-dessus des toits. La ville sort de sa torpeur.
Je traine ma mélancolie dans des rues aux façades éclairées par des enseignes,
Promod, Guerlain, Dior, devenues déesses des temps modernes.
Tout finit par être identique. Une ville semblable aux autres. Une zone industrielle. Un terrain vague. Au cœur de l’Europe.
J’achète un journal et déambule dans le quartier des Beaux-Arts.
La blancheur minérale des pierres effleure les premiers mouvements de l’aube.
Une fille nue et belle comme l’aurore attend devant l’arrêt de bus. Un ange blond dans le désordre du monde.
Elle ne pose pas, elle attend. Quelque chose d’enfantin illumine son visage.
Ai-je bien dormi ? Est-elle réelle ou est-ce une illusion ? Je n’en crois pas mes yeux.
Qui est-elle ? Une lueur de beauté dans la gangrène des habitudes ? Une touche de couleur rose dans le blues du quotidien ?
Je m’arrête un instant sur le passage clouté. Je m’approche d’elle. Le buse arrive. Elle disparait et m’échappe.
Qui ai-je vu ?
Un brume légère s’évade derrière les toits, les sirènes de police hurlent au-dessus des collines..
Sur toutes les photos, la fille est nue, sans que cela ne pose problème aux autres protagonistes des scènes assez insolites. Elle est nue à l’arrêt de bus du Marché Beaux-Arts, à Besançon. Nue à côté d’un distributeur de billets, dans le quartier de Battant. Nue devant un cinéma. À côté d’elle, des hommes et des femmes, indifférents à sa nudité, tiennent un fruit à la main.
Nue dans les allées d’un supermarché. Ni Michèle Tatu, au téléphone, ni Henri Traforetti qui consulte une pochette de revue ou de DVD, ni les autres clients ne semblent s’apercevoir de cette présence incongrue.
Nue dans un cimetière, en compagnie d’hommes et de femmes vaguement affligés devant une tombe.
[…]
Bob s’est tiré une balle une balle dans la tête. Il avait tout pour être heureux, me semble-t-il : une femme. Un poste de cadre au Telecom. De l’argent.
Etre et ne plus être me dis-je… Etre ou paraître. Etre ou avoir peut-être. Tout ça pour ça : finir entre quatre planches.
Le cortège avance. Rues vides et silence lourd. Seule la banque veille sur le cimetière tel un vieil avare sur sa fortune.
Les dignes représentants de la cité s’approchent pour rejoindre le funeste attroupement.
[…]
Des photographies, des voyages…
Désert de feu
Silhouettes de grès rouge
Paysage mythique
Terre de cinéma
John Ford et les Western
La Chevauchées fantastique
La Prisonnière du désert.
Il était une fois dans l’Ouest
John Wayne siffle
Un air d’Ennio Morricone
(Etats-Unis – 2006) Photographie et texte de Michèle Tatu.
The End
