Guerre d’Algérie : une conférence et un débat qui apaisent

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« Merci beaucoup, j'ai été très touché par votre conférence, j'en ai appris davantage en deux heures qu'en quinze ans d'école... » Hamid, 33 ans, est ému. La salle Battant où 150 personnes ont assisté mardi 4 novembre, avec une attention soutenue, Jean-Paul Bruckert parler de l'Algérie coloniale de 1830 à 1962, applaudit le jeune homme. De parents algériens « sans haine », il n'aime « pas critiquer la France qui est [son] pays ».

C'est sans doute pourquoi il dit son malaise quand des enseignants lui demandaient d'où il venait. Il répondait :
- « de Dole ».
- « Mais de où ? »
- « De ma cité ».
- « Et avant ? »
- « Ah... d'Algérie, mais je suis né ici ».

Hamid trouve aussi « dommage que la France ne fasse pas de grand pardon, ça réparerait des cicatrices... » Jean-Paul Bruckert n'est pas d'accord : « vous demandez la repentance, c'est ce que demande Bouteflika. Ce mot est étranger aux historiens, ce n'est pas un concept d'histoire. Comme citoyen, je ne suis pas pour la repentance, mais pour la reconnaissance des crimes de la nation. Je n'ai pas à me repentir de crimes que je n'ai pas commis... » Hamid est convaincu : « d'accord pour la reconnaissance ». A ses côtés, un garçon de 25 ans prend la parole : « je ne suis pas coupable, mais responsable de l'héritage de ce pays. Pour vivre ensemble, il faut apprendre à connaître nos histoires ».

Josette, la soixantaine, est également émue : « c'est une des premières fois... Je suis très heureuse qu'on ait mis en place cette réunion, elle contribue à mon mieux-être en m'apprenant l'histoire de pays où j'ai vécu en Afrique... » Marc Dahan se lève : « l'Algérie, c'était mon pays. Il reste une grande question : quand on nait dans un pays, est-on encore colon ? Beaucoup auraient aimé rester, mais ce n'était pas possible... J'ai mis trente ans à comprendre que partir était la meilleure solution ».

Né à Alger, Jean-Marie Girerd, lit un texte d'Aït Ahmed de 2004 sur les « fautes du FLN : les juifs et les chrétiens auraient dû rester... » Il disait en substance qu'avec le savoir-faire des pieds-noirs, l'Algérie serait devenue « une grande puissance ». Un autre natif d'Algérie, rapatrié à 10 ans, entend que ne soit pas oubliés « les 5000 morts d'Oran : j'y étais... »

Shérif Ammar Khodja ne veut pas répondre car des études sont en cours. Il revient à Aït Ahmed : « sa déclaration n'est pas contradictoire avec ses engagements du FLN : ce qu'il dit, 80% des Algériens le disent depuis 1962. Il a regretté le départ de gens qui auraient dû rester... Mais il y un fait : le fait colonial est d'abord insupportable... Quant à l'esprit "petit blanc", c'est cela qui a fait obstruction à la vie commune... Les Algériens se fichent pas mal de la repentance, c'est uniquement le fait des politiques. Les Algériens ne voient plus les Français comme des colonisateurs ». 

Auparavant, avant ce débat que je viens d'évoquer par bribes, pendant donc près de deux heures, Jean-Paul Bruckert avait tracé à grands traits et avec quelques détails, ce que fut la colonisation après « une guerre de conquête très dure, de 40 ans »... Il évoque l'accaparement de 20% des terres cultivables par les colons, les fermes européennes de plus de 100 hectares représentant 87% des surfaces des colons pour 29% d'entre eux quand 70% des agriculteurs musulmans possédaient moins de 10 hectares... Il peint une société bloquée où 98% des salariés agricoles sont musulmans et 95% des cadres supérieurs européens... « En 1954, 12% d'une classe d'âge est scolarisée... »

Il parle des impôts sur les propriétés non bâtie ne touchant que les Algériens ; des douars inclus dans des communes urbaines pour raisons fiscales ; du projet du gouverneur Violette d'accorder la nationalité française aux Algériens abandonné car des élus européens menaçaient de démissionner en plein Front populaire ; du statut de 1947 instituant une assemblée avec 60 députés élus du collège européen et autant du collège musulman dotée d'une majorité des deux tiers pour les prokets importants...

Il aboutit à la « double impasse » du 1er novembre 1954 : « les colons qui fermaient la porte ; les nationalistes enlisés et le PPA paralysé par les crises berbères/arabes ou centralistes/fédéralistes : ceux qui sont ruptres par rapport à cette paralysie passent à l'action... » Il fait le parallèle avec la décolonisation portugaise, les guerres d'Angola et de Guinée Bissau : « c'est toujours difficile avec une colonisation de peuplement... La France était otage de sa colonie, elle-même otage de ses grands colons... Les élements de la tragédie étaient là ».

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