Retraites, climat, Gilets jaunes… grosse mobilisation à Besançon

La démonstration de force a été impressionnante dès le jeudi 5 décembre dans la capitale comtoise. Avec 5 500 manifestants d’après la Préfecture et de 7 500 à 8 500 pour les organisateurs, c’est un raz-de-marée qui s’est abattu contre la réforme du système de retraites. Au-delà du cortège syndical, les actions se sont ensuite multipliées jusqu’au week-end : barrage filtrant à Micropolis à l’issue de la manifestation de jeudi, blocage économique d’Easydis dans la nuit, marche pour le climat samedi matin suivi d’un après-midi jaune, incluant l’occupation de l’enseigne Quick. Une fin d’année détonante s’amorce.

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Ils étaient des milliers. Ce jeudi marquait la rentrée sociale, avec une grève générale et des manifestations d’envergure dans toute la France. À Besançon, elle a été particulièrement suivie dans l’éducation nationale, les hôpitaux, l’administratif, les avocats, les cheminots, les étudiants, les chômeurs, les salariés du privé, syndicats, partis, et société civile. L’ensemble des secteurs étaient représentés. Par exemple les transports publics locaux, Ginko, comptaient près de 80 % de grévistes, quand l’école caracolait à 50 % avec 112 fermetures sur 444 établissements pour l’académie.

Si la traditionnelle querelle des chiffres n’a pas manqué de s’illustrer entre la préfecture annonçant 5 500 participants et les syndicats de 7 500 (C.G.T.) à 8 500 (F.O.), de mémoire de militants cette journée restera remarquable. Fabrice Riceputti, historien, enseignant, et membre de SUD présent sur le pavé, rappelle que l’ampleur de la mobilisation en France, 806 000 pour les autorités et 1 500 000 pour les organisateurs, dépasse les précédentes dates-clés. Que ce soit 2016, pour la loi Travail, 2010 pour la réforme des retraites, 2006 et le CPE, et même 1995 pour le plan Juppé.

 

« Aller au-delà des centrales syndicales »

La convergence place de la Révolution n’a pas laissé de doutes quant à la popularité du mouvement, celle-ci étant noire de monde dès 10 h 30. Le déroulé du cortège fut quant à lui sans surprises, ou presque. C’est à l’arrivée du parcours sur Chamars que les choses sont devenues plus incertaines. Faut-il se disperser, aller sur la préfecture, ou revenir à la case départ pour discuter collectivement des suites ? Si certains se rendent place de la Révolution, il ne s’y passe pas grand-chose en attendant l’AG de 14 h à la Fac de lettres. Mais plus de trois-cents téméraires choisiront de prendre la direction de Micropolis-Planoise dès 13 h, afin d’y dresser un barrage filtrant en écho à l’action du vendredi 25 octobre dernier.

Des Gilets jaunes, des altermondialistes, des autonomes, ou encore des encartés FO, arrivent sans encombre une heure plus tard à l’objectif. « Aller au-delà des centrales syndicales et des mots d’ordre » résume Fred Vuillaume, figure contestataire des Gilets jaunes bisontins qui a appelé au mégaphone la foule à suivre cet itinéraire. Sur la RN 57 en face de Micropolis, une barricade se met en place à l’aide de pneus, de palettes, et autres mobiliers. Immédiatement, un cordon de policier surgit au parking relais.

 

 

À 14 h 27, l’assaut est donné, à l’aide de grenades lacrymogènes MP7, afin de dégager les voies. Quelques jets de projectiles — des pétards, des pierres, et un extincteur — répondront à ce rouleau compresseur, repositionnant les manifestants à 14 h 40 sur l’échangeur de la rue de Dole. Une nouvelle percée des forces de l’ordre intervient quinze minutes plus tard, repoussant l’ensemble direction centre-ville. Dès lors des barricades sont dressées, au niveau de « Lidl » ou « Casino » avec des caddies, ou des poubelles surtout entre la rue des Vignerons et la place de la Bascule.

Un commerçant récupérera ses biens, tout en expliquant être « compréhensif des revendications » et blâmer « les gaz utilisés à tout bout de champ. » Les autres enseignes ont fermé leurs rideaux y compris le supermarché Casino, devant des riverains et passants hagards, mais magnanimes. En effet entre temps des lacrymogènes ont été propulsées rue de la Parisienne à 15 h 5 et place de la Bascule à 15 h 15, où la foule prise en étau s’est dispersée rues Bac-Ninh et du Stand afin de repartir dans la Boucle. Aucun blessé à déplorer, mais vers 16 h, cinq interpellations se produiront vers la Préfecture (1), avant une halte aux Passages Pasteur. Des défilés plus « paisibles » persisteront jusqu’au soir. Puis en pleine nuit dans la zone industrielle de Planoise, s’est tenu un « blocage économique » de la plateforme logistique « Easydis » (approvisionnement du groupe « Casino »).

Alauzet chahuté à la manif pour le climat, sa permanence taguée

Après un vendredi calme, le samedi fut également mouvementé. D’abord avec la « marche pour le climat » le matin. Le rendez-vous à 10 h 30 parc Micaud a rassemblé quelques 4 à 500 participants, dont le député et prétendant LREM aux municipales Éric Alauzet. Celui-ci aurait été chahuté avant le départ. « Un organisateur lui a demandé de prendre la parole afin d’expliquer la contradiction entre sa présence ici et son soutien à un gouvernement qui ne fait en rien avancer la cause défendue dans le cortège. Il a préféré partir », rapportent plusieurs sources. L’équipe du candidat, par la voix de Frank Monneur, son directeur de campagne qui n’était pas sur place, tout comme nous, parlera de « mensonges » et d’un départ lié « à un rendez-vous. »

En tout cas, sur le parcours, un arrêt a bien été fait devant sa permanence de campagne, située Grande Rue, avec une dénonciation du « greenwashing ». Alors que des tracts disposés à l’entrée étaient déchirés et jetés au sol, beaucoup de slogans insistaient sur l’éco-quartier des Vaîtes, un projet cher à l’ancien élu écologiste. Si la remise en cause des représentants n’est pas l’axe essentiel de cette marche pour le climat, l’épisode montre au moins que la position controversée de personnalités politiques sur ces sujets ne le laisse pas indifférent.

Autre nouveauté, les décrochages de pub’ sont désormais devenus monnaie courante dans ce contexte. Si cette évolution concerne surtout les autres défilés, nul doute qu’il ravira les plus engagés pour la planète. Ainsi depuis jeudi, et sur de larges pans de la ville, plus une sucette ou un abribus ne sont laissés tels quels, les supports étant systématiquement ouverts et délestés — sans casse — de leurs supports promotionnels. Un anticapitalisme vert qui colle à la tradition municipale, l’hostilité à J.C.Decaux étant inscrite dans l’ADN alternatif bisontin depuis de nombreuses années.

 

Gilets jaunes, acte 56

Dans l’après-midi, c’est au tour des Gilets jaunes d’entrer dans la danse. Ils étaient environ 400 place de la Révolution à 14 h. C’est d’abord en direction de la gare SNCF Viotte en soutien aux cheminots que le cortège se dirige. Maisles policiers sont devant et aucune jonction ne sera opérée. C'est ensuite la station « Total » rue de Vesoul qui est gagné De retour avenue Foch, la question des suites est tranchée à main levée : tunnel de la citadelle ou centre-ville ? La seconde option s’impose. Mais rapidement, les chasubles laissent place à des apparats type keffieh, autant pour se protéger du froid que de la vidéosurveillance.

« L’invasion » de l’enseigne Quick place Pasteur vers 16h30 marquera un temps fort de la journée. Si elle ne dure qu’une petite dizaine de minutes, elle marquera les esprits. Alors qu’ils s’échauffaient avec les employés, un des cadres de l’entreprise ramène le calme entre les deux fronts ; alors que la foule est repartie, il se confiera. « Je travaille ici depuis quatorze ans, et c’est une première… j’ai été bousculé, l’alarme incendie a été enclenchée, et les slogans [ils vendent de la merde] ont été vifs… même si je comprends totalement le pourquoi du comment. »

Le cortège lancé, c’est à nouveau la permanence de campagne d’Éric Alauzet qui va cristalliser les rancœurs. Peu avant 17 h, les vitres seront marquées avec de la peinture en spray. Les mots « dialogue », « exprimer », et « agir », étant notamment recouverts. Le commissariat est gagné à 17 h, mais une compagnie de gendarmes mobiles y interdit l’accès. Après un face-à-face froid, le retour sur Chamars, transformé en blocage de la voirie, obligera les uniformes à intervenir. Ils recevront pierres et bouteilles en verre à mesure de leur progression jusqu’à la mairie.

La centaine de téméraires se retrouve rue de l’Orme de Chamars. À 18 h, des policiers locaux se postent alors place de l’Égalité, prenant le groupe en étau. Celui-ci avance, entre passivité et agressivité. Finalement, les fonctionnaires céderont le passage sans heurts. Vers 18 h 30, lors de la dispersion, au moins une interpellation sera réalisée (2). Les derniers éléments s’éparpillent à Révolution, le mardi 10 décembre dans toutes les têtes. Trois jours d’une ardente effervescence, qui posent les bases d’un parallèle avec l’opposition à la loi Travail et Nuit debout en 2016.

(1) Cinq personnes furent interpellées et placées en garde-à-vue, dont quatre manifestants et un street-médic. Pour ce dernier l’ensemble de ses équipements a été confisqué y compris sa veste blanche, se voyant semble t-il principalement reproché avec trois autres participants un « attroupement » (431-3 C.P.). Un dernier gilet jaune est quant à lui soupçonné d’être l’auteur d’un jet de parpaing et a été relâché au bout de quarante-huit heures dans l’attente probable d’une convocation judiciaire, alors que les autres procédures n’ont pas été suivie.

(2) Au moins une jeune manifestante a été interpellée à 18 h 20 place de la Révolution lors de la dispersion, sans plus d’information quant aux suites décidées à son encontre. Il lui serait reproché une « entrave volontaire à la circulation » (L-412-1 C.P.), semble-t-il pour avoir saisi et positionné un panneau mobile rue Charles Nodier.

 

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