Alain Cavalier, cinéaste indépendant et poète

« Le Paradis », son dernier film qu'il a présenté en décembre à Annecy, et un programme de courts-métrages, « Cavalier express », sont présentés à Besançon du 9 au 13 janvier. Après avoir réalisé de grands films de fiction (La Chamade, Thérèse, Martin et Léa) le cinéaste franc-tireur se tourne vers une autre façon de faire du cinéma…

leparadis

« Depuis l’enfance, j’ai eu la chance de traverser deux minidépressions de bonheur et j’attends, tout à fait serein, la troisième. Ça me suffit pour croire en une certaine beauté de la vie et avoir le plaisir de tenter de la filmer sous toutes ses formes : arbres, animaux, dieux, humains… et cela à l’heure où l’amour est vif. L’innocence, le cinéaste en a perdu une partie. C’est si délicat à repérer autour de soi, si difficile à ne pas perdre au tournage. Ma reconnaissance va à ceux que vous regarderez à l’écran. Pour tenir tête au temps, j’ai une parade qui est de fouiller dans mon stock d’émotions et d’images anciennes. Non pour retrouver ce qui ne reviendra pas mais pour deviner dans l’hiver les signes du printemps. Cela permet de recommencer encore une journée d’un pas aisé. »

C’est par la lecture de ces mots que le cinéaste Alain Cavalier a présenté son film au Cinéma La Turbine à Cran-Gevrier, près d’Annecy, début décembre.

Le programme des projections, du 9 au 13 janvier, au cinéma Kursaal, à Besançon, ici.

Eloge du sensible et de la réalité, de la poésie discrète et de la vie intense, la voix du cinéaste chuchote au dessus des images et nous livre à la façon d’un journal intime quelques belles clefs de son passage sur terre. Cela s’appelle Le Paradis (bande annonce ).

Les grands récits de l’Humanité

D’un revers de manche, le cinéaste efface le bruit et la fureur du monde, retrouve un périmètre intime et tente au cœur de cet espace de tourner des images qui racontent la vie ; un petit robot rouge trouvé en bordure de mer devient Ulysse et nous embarque dans son voyage. « L’Odyssée et la Bible sont les textes qui m’ont marqués pendant mon enfance. J’emprunte les grands récits de l’Humanité » explique-t-il. Et il se souvient de son enfance chez les bons pères, de la première hostie et du premier rollmops mélangeant audacieusement le païen et le chrétien, la mythologie grecque à la Bible, le trivial au sublime.

« L'Insoumis », tourné dans le Haut-Doubs

Alain Cavalier a tourné le film « L’insoumis » en Franche-Comté. Après le putsch d’Alger en 1961, un Luxembourgeois (Alain Delon) engagé dans la Légion, déserte avec son lieutenant. Il rejoint l’OAS ; Comme il a besoin d’argent son ex-lieutenant lui propose une « affaire » l’enlèvement d’une avocate lyonnaise (Léa Massari), venue à Alger défendre deux algériens ; Ainsi il pourra gagner la somme nécessaire pour rejoindre son pays natal. Chargé de surveiller la jeune femme dans son appartement, il prend pitié d’elle et décide de lui rendre sa liberté. Mais l’affaire tourne mal ; il abat son complice, enferme le lieutenant et au cours d’une bagarre, est blessé d’une balle à l’abdomen. Malgré cela, il parvient à se rendre clandestinement en France, s’arrête à Lyon pour rendre visite à l’avocate et lui demande de le soigner ; Une étrange relation amoureuse naît entre cette femme et cet homme qui ne lui ressemble guère. En essayant de le sauver l’avocate se trouve mêlée à une tuerie et décide de l’accompagner jusqu’au Luxembourg. Dans la nuit, elle fait appel à son mari qui décide de l’aider.

Le film commence en pleine guerre dans la lumière de la Kabylie et se termine au Luxembourg. Cette dernière partie est tournée au poste frontière de Mouthe et à Friard dans le Haut-Doubs montre le retour du déserteur dans sa maison natale une ferme comtoise située à proximité d’une fontaine. C’est là, sous un ciel limpide, qu’il retrouve, avant de mourir sa terre nourricière, dans une nature paisible et généreuse, au milieu des ruches et des champs de fleurs. Les repérages ont été réalisés par Pierre Bichet. Lors d’un entretien à propos de « L’Insoumis » à la Cinémathèque française en 2012, Alain Cavalier a longuement parlé de ce film censuré et peu diffusé. Un bel entretien à découvrir ici.

La mort aussi, naturellement. Un petit paon meurt. On l’enterre. Alain Cavalier revient quelques mois plus tard voir le petit cénotaphe recouvert de végétation. Il essaie de le retrouver ; au passage le cinéaste évoque la mort des siens. Et au-delà, comment la trace d’une image, d’une idée, le fragment d’un poème, toutes ces choses habitent notre mémoire et lui donne ce goût de paradis sur terre : « Je vis toujours sans savoir si je serai encore vivant demain alors je me tourne du côté de l’enfance » dit-il encore.

Des fragments de réels

« Je fais des films comme quelqu’un qui est dans un bistrot et qui attend quelqu’un d’autre ». Et le cinéaste transforme de petits bouts de ficelle en petits bouts d’histoires avec des interrogations apparemment risibles et anodines ; est-ce que le coca peut dérouiller un clou ? Justement le clou devient quelques plans plus tard le symbole d’une crucifixion sur l’écorce de la tombe du paon.

Filmer c’est mettre des choses les unes à côté des autres et questionner le réel. Rien de plus pour cet artiste filmeur, regardeur, ce poète de l’enfance, ce contemplatif que l’âge incite à la réflexion et à la construction poétique des souvenirs.

Alain Cavalier fabrique et colle des fragments  de réel ; son propos a la légèreté d’une phrase consignée sur une éphéméride ; tout y est apparemment léger et pourtant rien n’est anodin. Avec son petit robot et une oie de récupération dans la poche, il nous emmène dans son univers intime. 

Filmer en liberté

« Comment résister en tant que cinéaste et continuer de faire des films ? Il m’a fallu deux ans et demi pour faire Le Paradis ; c’est contraire aux règles cinématographiques dans lesquelles le hasard et la folie de la vie sont exclus. Il faut du temps, et, mon temps c’est ce qui coûte le moins cher. Mes films ne ruinent personne. Je les fais librement. Chaque plan est un risque ; j’ai fait mourir la petite oie et je la ressuscite reprend-il en souriant. J’observe simplement la réalité, la mienne. La seule que je connaisse. Je ne travaille pas sur une interprétation réaliste de la vie. »

En l’écoutant, on imagine à peine qu’il ait en d’autres temps réaliser Le Plein de super (film-culte) mais au fond sa liberté profonde et son imagination fertile était déjà à l’image. « J’ai filmé des acteurs célèbres, des corps glorieux. Actuellement la matière de mes films, c’est les visages des gens que j’ai rencontrés par hasard. »

Retour vers l’intime avec l’innocence et la grâce d’acteurs inconnus, la légèreté d’une petite caméra, Le Paradis est un film apaisé. Une escale de bonheur au hasard des feuillets agités de nos vies. Un film où l’imaginaire du cinéaste nous invite à regarder le réel, à nous imprégner de la beauté, à entrer dans son petit théâtre intime où la légèreté danse avec l’universel. Ici même, où l’épreuve du temps et de la mort, se transforme en cinéma.

 

 

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