Le débat sur le Center parcs dans la campagne des élections départementales

Les communes directement impactées sont curieusement dans deux cantons différents. Dans celui de Poligny, redécoupé sur mesure, la majorité sortante est peu interpellée sur le projet, Majorité citoyenne en fait un angle d'attaque, la droite doute d'un modèle basé sur un remplissage de 100%...

Roger Rey, maire de Conliège, enrôlé in extremis par Christophe Perny comme candidat de la majorité départementale.

Dominique Chalumeaux arpente les allées de Juraparc, le parc des expositions de Lons-le-Saunier où se tient ce jeudi 18 mars un important concours de vaches montbéliardes. Président de la chambre d'agriculture du Jura, il est comme chez lui. Il serre des mains, claque des bises, échange des nouvelles... Il croise un vieux sourire : « Alors ? Quoi de neuf à Crançot ? » « Rien du que du vieux ! », répond le sourire. « Ah ah ! », répond Dominique Chalumeaux qui est aussi en campagne électorale. « J'ai 80% des paysans derrière moi... Je suis content d'être candidat à Poligny, c'est la plus grosse densité d'entreprises agro-alimentaires ».

Conseiller général UMP du canton de Conliège, des portes de Lons à la Combe d'Ain, il brigue en effet le siège de conseiller départemental du nouveau canton de Poligny. Tout un poème ce nouveau canton dont le découpage a fait couler beaucoup d'encre et encore plus de salive. « Il y a une frustration dont on entend beaucoup parler », souligne sa colistière Christelle Morbois, adjointe UMP au maire de Poligny et suppléante du député-maire de Lons, Jacques Pélissard.

Le découpage d'Yves Colmou

Le canton intègre la proche banlieue du chef-lieu du département avec Perrigny et Montaigu, l'ex canton de Voiteur avec les joyaux que sont Château-Chalon, Ménétru-le-Vignoble, Baume-les-Messieurs..., et une partie de l'ancien canton de Poligny dont ont soigneusement été écartées, évidées même, des communes riveraines pour les rattacher au canton bressan de Bletterans. Parmi celles-ci, Tourmont et Miery, mais aussi et surtout, sur le plateau, Plasne et Barretaine, deux des trois communes les plus impactées par le projet de Center parcs...

Christophe Perny : « la réforme territoriale pas très bien conduite »
Très haut débit numérique selon plusieurs modalités techniques en fonction des endroits, bus médicaux spécialisés (par exemple dentaire) pour répondre à la désertification médicale, devenir du village de vacances de Lamoura... Les sujets d'interpellation de Christophe Perny n'ont pas manqué à Conliège. Le président sortant considère aussi que la réforme territoriale n'a « pas été très bien conduite » : « on nous enlève le transport scolaire. Les Jurassiens auront à y perdre car on a le service le plus avantageux des huit départements de la grande région. Le système pourrait se dégrader en terme de maillage, ce n'est pas une bonne idée : soit on fera payer les parents, soit on transférera aux intercommunalités ».

L'argument de l'équilibre démographique ne tient pas, il a 3000 habitants de plus que chacun des deux cantons lédodiens, 5500 de plus que celui d'Arbois... Croisé à Juraparc, le sénateur Gérard Bailly, ancien président UMP du Conseil général, se souvient avoir croisé son ex collègue du Doubs, Claude Jeannerot (PS), sortant du ministère de l'Intérieur : « Tu viens de participer au charcutage ? », lui dit-il. « On ne peut rien te cacher », lui aurait répondu Jeannerot. La droite assure que Perny a directement négocié le découpage avec un certain Yves Colmou, passé du PS jurassien à l'entourage de Manuel Valls... 

Marie-Odile Mainguet : « C'était devenu impossible d'être dans la majorité départementale »

Dans ces conditions, il est difficile de faire des élections cantonales le « référendum » sur le projet dont parle le président du Conseil général Christophe Perny (PS). Il dit à qui veut l'entendre que les opposants sont des ultra-minoritaires. En séance, il avait traité de « triste et passéiste » la conseillère générale écologiste de Voiteur, Marie-Odile Mainguet qui avait argumenté contre le projet. Cette divergence importante, mais aussi une certaine tension des rapports ont conduit à la rupture : « C'était devenu impossible d'être dans la majorité départementale, je ne peux pas travailler avec quelqu'un qui traite les gens avec qui il est en désaccord de cette façon », expliquait-elle mercredi lors d'une réunion publique au Fied, le troisième village impacté par le projet.

Roger Rey : « les idées doivent venir de la base, pas du ciel »
« On n'a jamais polémiqué avec personne, sauf quand on nous a attaqués », rapport Roger Rey en décrivant sa campagne :  « On a rencontré les 45 maires... Le conseiller général sortant n'a pas aucune réunion cantonale, c'est moi qui les ai faites comme maire. Je suis favorable à des conseils cantonaux tous les six mois sur les territoires des anciens cantons. Les idées doivent venir de la base, pas du ciel... »

Elle est donc candidate pour la Majorité citoyenne, une alliance de la gauche de la gauche où les partis se sont - pour l'instant - effacés derrière des assemblées citoyennes qui ont validé une charte. Dans le canton de Bletterans, les électeurs qui veulent voter non au Center parcs n'auront pas le même choix : la liste Majorité citoyenne a été invalidée pour un document manquant apporté quelques minutes après la clôture de dépôt des candidatures... Mais, fait remarquer Christelle Morbois, « plus on s'éloigne du site, moins les gens sont concernés et moins ils se questionnent ».

Christophe Perny : « appliquer les lois très protectrices de notre pays »

La candidate UMP a quand même identifié les interrogations : « l'eau, l'assainissement, la nature des sols, et pour quelques personnes l'énergie ». Pour Christophe Perny, ces questions se régleront en « appliquant les lois très protectrices de notre pays » sur l'eau, l'assainissement ou la forêt. Quant au débat programmé par la Commission nationale du débat public entre avril et juillet, « il ne va rien changer à l'opinion de ceux qui sont pour ou contre », dit-il lors d'une réunion départementale de campagne tenue devant une trentaine de personnes, mardi 17 à Conliège.

Que faire face au FN ?
Pourrait-il y avoir égalité de cantons gagnés par la droite et la gauche, avec un arbitrage du FN qui en gagnerait un ? Christophe Perny estime pour sa part que le FN n'aura aucun canton. Christelle Morbois ne peut « pas l'envisager ». Mais en cas de second tour entre le FN et la gauche, « en aucun cas », elle ne votera FN. « Je ne veux pas en faire le centre de la campagne, on parle de notre projet. On a rencontré les 150 élus locaux pour les écouter et comprendre les problématiques, leurs attentes vis à vis du conseil général. A partir de là, on a bâti notre projet. Puis on a tracté et programmé onze réunions, sans faire de porte à porte : manque de temps ».

Il est aussi venu soutenir le maire du village, Roger Rey, qu'il a enrôlé in extremis dans la Majorité départementale, et a eu quelques doutes sur le Center parcs : « pas de question là-dessus ? étonnant ! », lâche-t-il. Son suppléant, le maire de Crançot, Daniel Ségut fait le compte-rendu de la réunion de... Majorité citoyenne qu'il a accueillie dans sa mairie : « Ils ont donné des chiffres que je ne connaissais pas, sont pour des emplois, mais pas comme ça... Ils sont pour un tourisme diffus ». Perny répond à l'argument : « Il ne faut pas opposer les choses, le Center parcs va irriguer tout ça, le développement se fait à partir des flux. Les élus n'ont plus le luxe de choisir leurs emplois... »

Dominique Chalumeaux, favorable au projet, s'interroge sur un taux de remplissage à 100%...

Ce faisant, le président du Conseil général feint d'ignorer que la critique la plus solide concerne le modèle économique. Dominique Chalumeaux, favorable au projet, s'interroge : « il est atteint à un taux de remplissage de 100%, ce n'est pas tenable sur 10 ans. Il vaut mieux tabler sur 70 à 80%. Il y a beaucoup de questions auxquelles il faut répondre avant de décider, se border sur le plan juridique... Mais aussi bizarre que ça paraisse, ce sujet ne passionne pas les foules. Les gens sont plutôt pour, sauf ceux qui mettent en avant les aspects environnementaux ».

Rendez-vous d'entre deux tours
« Ils ne donneront pas de consigne de vote au deuxième tour, c'est dire s'ils sont clairs ». Christophe Perny n'a pas de mots assez durs pour Majorité citoyenne qui s'oppose à trois importants dossiers qu'il soutient : outre Center parcs, l'aéroport de Dole-Tavaux et l'Eco-parc, un centre commercial qu'il envisage en bordure de la déviation de Lons, mais qui ne plaît pas beaucoup à Jacques Pélissard.
Majorité citoyenne, qui a des candidats dans neuf cantons et ne présente personne contre Nouvelle Donne dans deux cantons et EELV dans l'un, a programmé une assemblée lundi 23 destinée au positionnement vis à vis du second tour. Perny l'exclut, mais il n'est pas impossible que certains de ses candidats soient devant la majorité départementale au soir du premier tour. Le président du Conseil général est présenté par plusieurs de ses détracteurs comme un homme seul et autoritaire qui va mordre la poussière. Ce serait viter enterrer l'homme qui a de la ressource, une force de conviction intacte, et connaît bien ses dossiers.

Au sein de Majorité citoyenne, il n'y a pas de consensus sur les questions environnementales, voire philosophiques. Ces aspects sont naturellement mis en avant par les militants venus d'EELV, du PG ou de la décroissance, pas par les communistes. En revanche, tous tombent d'accord sur les aspects économiques, mais les candidats sont aussi venus écouter. Antoine, un jeune paysan adhérant à la Confédération paysanne, conseiller municipal au Fied, est venu à la réunion électorale où le sujet occupe un bon tiers du temps : « On manque d'eau un an sur trois ou quatre, et le projet pourrait être une opportunité pour l'eau arrive au village. Mais il y a plein de gens qui ont fait le choix de vivre ici pour être tranquilles. Ça me révolte ! Vu de Poligny, le Center parcs, c'est là-haut dans la forêt où on va aux champignons... »

Des projets portés par des gens du cru pour que «  l'argent reste sur le Jura au lieu d'aller à Paris et au Luxembourg... »

Le maire, Michel Fèvre, agriculteur lui aussi, est partagé, comme le conseil municipal qui en a discuté, l'idée d'un référendum a été émise : « on sait qu'il y a des choses négatives, mais peut-on trouver un accord pour que les gens d'ici y aient un intérêt ? » Laurent Ménétrier, candidat et adhérent au PCF, qui a tenu un café sur la place de Poligny avant de travailler chez Juraflore dont il loue l'humanisme du patron Jean-Charles Arnaud, ne verrait pas d'inconvénient à ce que le financement du projet soit entièrement privé : « Pierre et Vacances se restructure avec des fonds publics : quand ça ne va pas, les actionnaires font appel à l'Etat, ils ne prennent pas de risques. Ici, un petit chef d'entreprise, quand ça ne va pas, il casse son plan-épargne, il ne va pas voir la mairie... » Il préférerait que l'argent du Département aille dans des projets portés par des gens du cru, comme ça « l'argent resterait sur le Jura, n'irait pas à Paris avant de passer par le Luxembourg » avant de s'évader dans un paradis fiscal...

Son suppléant, Valentin Morel, jeune viticulteur « politisé » et adhérent au PG, trouve ahurissant que chaque emploi créé par le village de cottages dans la forêt coûte 300.000 euros de subventions publiques : « avec 80 millions des collectivités, on peut faire beaucoup mieux. Je ne suis pas contre le Center parcs, je suis pour autre chose ». Cette autre chose pourrait surgir de la réflexion collective issue de la méthode des assemblées citoyennes. Une méthode faite de beaucoup d'écoute qui suscite un espoir parmi d'anciens militants repentis. Ainsi cet ancien des comités Juquin qui a constaté « l'embourgeoisement de la société française qui empêche la gauche de comprendre le drame du chômage » et verrait bien « des projets économiques s'élaborant avec les forces vives du département ». Il ne peut s'empêcher de lâcher : « quand on voit des projets comme Center parcs, les gens pensent forcément à des trucs bizarres... »

A distance, Christophe Perny assure que l'investissement public au côté de Pierre et Vacances, notamment dans une société d'économie mixte portant la bulle tropicale contenant la piscine à vagues, appelée centre aqualudique, générerait des « retombées induites » sur les filières agro-alimentaires, vins et fromages notamment, la filière bois, et tout le voisinage. L'étonnant, pour reprendre le mot de Roger Rey, c'est que les personnes assistant à la réunion n'abordent pas la question. Christophe Perny nous n'avait déjà indiqué. Les opposants estiment pour leur part que plus l'information se répand, plus les gens sont contre...  

 

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