« La volonté du bonheur est toujours une idée neuve »

Paraphrasant Saint-Just, Nathalie Vermorel, la tête de liste de l'Alternative à gauche, entend incarner un projet porté, et présenté par un collectif, mardi 1er décembre devant près de 200 personnes à Besançon. « Nous sommes la seule liste de gauche avec une dynamique de premier tour », dit-elle.

Dominique Henry, n° 14 sur la liste du Doubs : « la ferme des 1000 vaches de Picardie est un symbole de la financiarisation de l'agriculture ». Photos D.B.

Le meeting de L'Alternative à gauche commence comme un documentaire. Le noir se fait et un son envahit le petit Kursaal où ont pris place un peu moins de 200 personnes. Un journal télévisé rapporte « l'agression » du cadre d'Air France. La lumière revient sur la comédienne Lucile Tanoh qui, d'une voix forte, dit le discours de Jean Jaurès à l'Assemblée nationale, le 19 juin 1906 : « ce que [les classes dirigeantes] entendent par la répression de la violence, c’est la répression de tous les écarts, de tous les excès de la force ouvrière ; c’est aussi, sous prétexte d’en réprimer les écarts, de réprimer la force ouvrière elle-même et laisser le champ libre à la seule violence patronale... »

Elle est interrompue par la voix de François Hollande répétant « La France est en guerre ». Elle y répond par le dernier discours de Jaurès, le 29 juillet 1914 à Bruxelles : « Voulez-vous que je vous dise la différence entre la classe ouvrière et la classe bourgeoise ? C’est que la classe ouvrière hait la guerre collectivement, mais ne la craint pas individuellement, tandis que les capitalistes, collectivement, célèbrent la guerre, mais la craignent individuellement... »

« Fidèle aux valeurs de la gauche »

Le ton est donné et Jean-Christophe Jacottot, tête de liste dans le Doubs, salue les luttes des intermittents du spectacles et règle quelques comptes : « Depuis le 13 novembre, certains ont compris que le terrorisme, c'est autre chose que déchirer la chemise d'un PDG... ». Ainsi va la gauche radicale. Ce faisant, elle mène la bataille des mots et des représentations abandonnée depuis longtemps par la gauche. Elle organise aussi la distribution de la parole entre la tribune et la salle, l'entrecoupe de messages vidéo de Clémentine Autain (Ensemble) et Jean-Luc Laurent (MRC), Danièle Simonet (PG) et Pierre Laurent (PCF)... Il manque quand même le PG en Franche-Comté, le soutien officiel de Nouvelle Donne dont un fondateur, Patrick Viverge, est quand même tête de liste dans le Jura, et de certains communistes de Haute-Saône.

« Notre liste est la seule de la gauche rassemblée, la seule à gauche avec une dynamique de premier tour. Notre défi est de relancer l'espoir pour une majorité populaire fidèle aux valeurs de la gauche », dira Nathalie Vermorel, la tête de liste régionale. Avant son propos, ils auront été une dizaine à s'exprimer, illustrer un point ou défendre une idée.

« Aider les collectivités locales à salarier des médecins dans des maisons de santé »

Gilles Lazar, tête de liste en Haute-Saône, déplore la « fracture dans l'accès aux soins, la disparition de trois hôpitaux en Haute-Saône, la fusion des hôpitaux de Belfort et Montbéliard avec 400 lits de moins... Quand une dame de 92 ans attend huit heures sur un brancard, c'est de la maltraitance ». Que peut faire la région dans ce domaine sanitaire qui n'est pas de sa compétence ? « Aider les collectivités locales à salarier des médecins dans des maisons de santé ». Quant à réunir à nouveau les hôpitaux déjà fusionnés ou supprimer la tarification à l'acte, c'est une autre bataille. 

La jurassienne Laurence Bernier, maire de Frasne-les-Meulières, fustige les 15 heures d'ouverture en moins au bureau de poste de Moissey, la fermeture de la réanimation de l'hôpital de Dole, le transfert de la chirurgie à la clinique privée : « il faut sortir les services publics de la marchandisation ! » Sa tête de liste, l'ancien conseiller général Patrick Viverge, défend le très haut débit numérique qui peut « désenclaver le monde rural en y maintenant des commerces ou des fabrications ». Constatant que l'aéroport de Tavaux est « toujours déficitaire », il estime que l'équipement « ne doit pas servir qu'à envoyer des gens en vacances » et lance l'idée qu'il serve à la déconstruction d'avions ou aux formations aéronautiques. Il est le seul à aborder le projet de Center parcs, pour l'étude duquel il avait voté comme conseiller général : « c'est loin d'être une bonne formule. Et c'est inadmissible de donner un centime d'argent public à une entreprise ayant des filiales dans des paradis fiscaux, ce qui vaut aussi pour Raynair ».

« Notre qualité de vie n'est pas négociable »

Une paysanne figure en quatorzième position sur la liste du Doubs, Dominique Henry. C'est l'une des neuf militants poursuivis pour le démontage de la ferme des 1000 vaches de Picardie, « symbole de la financiarisation de l'agriculture, de la captation des primes... Le vrai projet est un méthaniseur dont le lait serait un sous-produit payé 200 euros la tonne quand on en gagne 500 en comté... Mille vaches, c'est une quarantaine d'actifs, là, il y aurait dix salariés... Notre qualité de vie n'est pas négociable ».

Conseiller régional sortant, Alain Letailleur est tête de liste dans le Territoire de Belfort et il parle d'industrie : « cela fait trente ans que la région est soumise à la désindustrialisation par le gouvernement, qu'il soit plutôt socialiste ou officiellement de droite... » Il  estime nécessaire de « rebattre les cartes européenne et nationale pour travailler d'autres produits pour le développement durable et se battre contre les délocalisations ». Il défend une région « pole de résistance » et « militante » : longtemps des collectivités se sont engagées auprès des salariés, cela semble grossier aujourd'hui ». A Besançon, dont la municipalité a soutenu la lutte des Lip dans les années 1970, on s'en souvient... Il présente les éléments de programme que sont la création d'un fonds régional de formation géré paritairement, des états généraux de l'industrie par filière, l'évaluation du « bon usage de l'argent public ».

Pour une « politique internationale de la grande région visible et lisible »

Sevim Güler-Celik ne veut pas « laisser au FN le monopole du renouvellement générationnel » tandis que Marianne Vagneron cite Eluard et Théodore Monod : « l'utopie, ce n'est pas l'irréalisable, mais l'irréalisé ». Georges Ubbiali condamne « bien sûr » les attentats, mais également l'état d'urgence : « ce n'est pas en limitant l'expression des droits démocratiques qu'on renforce la démocratie ». Annie Henry parle de la paix : « la militarisation du monde est engendrée par le capitalisme », tandis que Solange Joly s'interroge : « la région de Franche-Comté a stoppé ses coopérations avec la Russie, l'Afrique, l'Asie... Il reste le Maroc, mais demain ? » Elle veut une « politique internationale de la grande région visible et lisible ».

Quand Nathalie Vermorel arrive au pupitre, beaucoup a été dit par des candidats qui sont « tous très engagés ». Elle s'excuse presque de l'ébauche de personnalisation de la campagne : « On n'est pas des présidentialistes, mais c'est comme ça dans notre pays, on incarne quelque chose... Alors, nous sommes tous unis pour dire que la place de l'homme est au centre de nos préoccupations. Chacun a une cause qui lui tient à coeur, nous voulons tous maîtriser le cours de nos vies ». Comment ne pas aborder ce triste vendredi 13 ? « Les attentats nous ont saisis d'effroi. La réponse est dans la république : égalité, liberté, fraternité, une république laïque pour vivre ensemble et faire société, une république sociale... Il ne suffit pas de l'incarner pour la faire vivre, il faut l'incarner dans un projet ».

La « tournure martiale » des débats sur les attentas et la COP 21

A la « tournure martiale » des débats sur les attentats et la COP 21, elle veut opposer « une société, une région du bien commun ». Elle parle de la jeunesse qui « faute de trouver un sens à sa vie, n'en trouve pas à la vie. Elle a besoin d'idéal, loin des enjeux égoïstes de l'enrichissement personnel ». Pour « associer la jeunesse aux décisions », elle proposera un conseil régional des jeunes... A l'égalité des chances, elle oppose « la réussite pour tous » qui passe par la gratuité des manuels scolaires, mais aussi des tenues en lycée professionnel...

Elle ne veut « plus reculer » sur le front du climat « sinon il y aura 250 millions de réfugiés climatiques en 2050 ». Dans cette optique, elle défend « une autre façon d'entreprendre avec l'économie sociale et solidaire », les énergies renouvelables, moins de transports par route et plus de fret ferroviaire. Elle dénonce « l'austérité suicidaire », présente François Hollande comme un « Robin des Bois à l'envers qui, avec le CICE, prend aux pauvres et donne aux riches », critique le fait que les « domaines d'intervention du conseil régional subissent le plein fouet la baisse des dotations ».

Elle parle de « volonté de résistance » et de « volonté du bonheur » : « par delà l'intime, j'ai la conviction que le bonheur vient de la volonté collective. Saint-Just, un Bourguignon, un Nivernais, disait le bonheur est une idée neuve en Europe... L'Europe doit apprendre que vous ne voulez plus un malheureux ou un oppresseur sur la terre... Un siècle et demi plus tard, en 1943, le programme du Conseil national de la résistance s'appelait Les Jours heureux. Le CNR ne faisait pas de romantisme, mais pensait que le bonheur est une affaire publique. La volonté du bonheur est toujours une idée neuve ».

 

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