Zoo project défendait un art populaire, indépendant, accessible et gratuit…

Le réalisateur bisontin Antoine Page est à l'initiative d'un projet d'envergure à la mémoire du dessinateur et artiste de rue Bilal Berreni, alias Zoo project, assassiné en 2013 à Detroit. La sortie en salle du film qu'ils avaient fait ensemble, C'est assez bien d'être fou, doit coïncider avec l'édition d'ouvrages sur le travail du dessinateur qui seront donnés aux médiathèques, et d'expositions dont une installation à Marseille.

13

Il n’avait pas de limites. Des idées plein la tête. Il était enthousiaste, engagé, passionné, barroudeur. « C’était un type à “donf”, un personnage assez fou. » Bilal Berreni était dessinateur et artiste de rue, connu sous le pseudo Zoo project. Quatre ans après sa mort à l’âge de 23 ans, deux de ses amis ont initié ensemble un projet d’envergure pour lui rendre hommage et faire connaître largement son travail, son œuvre.

L’un d’eux, Antoine Page, réalisateur bisontin, installé sur le site de la cartonnerie de Mesnay dans le Jura, développe activement deux des trois volets de cet hommage. « L’idée est de voir en grand, comme le faisait Bilal », note Antoine Page. « C’est un projet qui va coûter, mais qui ne rapportera rien. » Il s’inscrit dans l’état d’esprit de Zoo project. « Etre complètement indépendant, défendre un art populaire. » En préparation : la sortie en salle du film C’est assez bien d’être fou, des installations en plein air, et l’édition d’un coffret de huit carnets sur le travail de l’artiste en 1 000 exemplaires, qui seront donnés à des médiathèques.

Parcourir le monde et tout repeindre...

C’est en 2009 qu’Antoine Page a fait la rencontre du jeune dessinateur. Année où est né leur premier projet et leur amitié. « On s’est rencontrés via la productrice Jeanne Thibord qui habitait le 20e à Paris », raconte le réalisateur. Bilal peignait dans les rues de cet arrondissement. « Elle a mis longtemps avant de savoir qui il était. Il lui a fait part d’un projet : parcourir le monde et tout repeindre. Le projet était foireux, elle a pensé à moi (rires). L’idée c’était d’aller le plus loin pour faire les trucs les plus énormes. On s’est hyper entendu. Après 15 minutes, on était déjà en train de taffer… » Le film C’est assez bien d’être fou venait de naître.

« L’idée n’était pas juste de partir avec une caméra. Je lui ai proposé de s’impliquer dans la création du film. Ça l’a branché. Ça a été une véritable collaboration artistique. Comment raconter un voyage, un moment qu’on est en train de vivre, en mélangeant les deux médiums : vidéos et dessins. »

Pendant le montage, une projection test avait été organisée au Kursaal à Besançon début 2013 devant 300 spectateurs (lire ici l'article de Michèle Tatu sur Factuel). L’un des trois axes de l’hommage prévoit la sortie nationale du film dans environ 200 salles. Une équipe sera en charge de trouver des salles partenaires et de penser à la manière d’accompagner la sortie du film : exposition, débat, intervention d’artistes…

« Les Russes se demandaient ce qu’on foutait là… Nous aussi ! »

L’aventure « a coïncidé avec le moment où j’ai acheté cette maison » sur l’ancienne cartonnerie de Mesnay. « On a commencé à bosser ici, il n’y avait pas de toit ! » Antoine Page et Bilal Berreni travaillent ensemble pendant deux ans, ponctuellement, pour « expérimenter des trucs ». Zoo project a dessiné à la cartonnerie de Mesnay, s’est exercé sur des machines, des gens. Il a notamment réalisé une fresque, des photos montages. « Finalement, à part l’installation à Odessa, et en mer d’Aral, peu de choses ont été préparées en amont. Le reste était improvisé. Toutes nos idées géniales, en pratique : on s’est pris des fours ! Les Russes se demandaient ce qu’on foutait là… Nous aussi ! »

Les deux compères sont partis quatre mois pour le tournage, de Mesnay à Vladivostok. « Toute la post-production s’est faite ici, à Mesnay, avec Ben Farey (membre du collectif Tricyclique Dol, installé à la cartonnerie, NDLR) pour les travelling, les maquettes de trains, de villages. On a reçu de l’aide de gens du coin pendant la préparation. On a fini le film, il s’est fait tirer dessus à Détroit. Ça a été tellement violent, je n’ai pas voulu en parler. Ça fait quatre ans, c’est le moment de montrer son boulot. » L’idée de reproduire l’installation imaginée et réalisée par Bilal Berreni et le réalisateur à Odessa, sur les escaliers Potemkine en 2012, au cours du tournage du film, s’est imposée.

Réaffirmer la puissance de la création artistique

Les compères avaient imaginé réaliser la même installation à Marseille (ville jumelée avec Odessa), sur les escaliers de la gare Saint-Charles. Un dossier a été monté et envoyé à la ville pour le printemps 2018. Antoine Page espère pouvoir réaliser ces accrochages dans différents « lieux gigantesques » en France. « On a pensé aussi à la galerie marchande 104 à Paris. J’aimerais aussi en faire une dans le coin. Il faut que ce soit des lieux populaires. La symbolique est différente selon les lieux, mais il faut de l’espace. »

Au total, 1,2 km de toile de jute doivent être livrés à la Maison du directeur à Mesnay. L’objectif : créer 400 personnages de trois mètres de haut au pochoir d’ici le printemps 2018. Bilal Berreni les avait interprétés à partir de la scène emblématique du film Le Cuirassé Potemkine de Sergueï Eisenstein.

Le dessinateur considérait cette installation comme « une ode au peuple, à sa capacité de se rebeller et de lutter contre l’asservissement. Il souhaitait en outre, à travers l’évocation du chef d’œuvre d’Eisenstein, réaffirmer la puissance de la création artistique et sa capacité à changer le monde », expliquent les porteurs du projet sur le site de financement participatif Ulule, où est présenté le projet d'hommage.

Faire sentir le bouillonnement, la profusion d’idées

« Bilal a fait plein de trucs, dans plein de styles différents : fresques, installations, dessins, bandes dessinées… » L'hommage prévoit l’édition de huit carnets, chacun associé à une période de création de Zoo project, souvent en lien avec un projet : street art à Paris, installations en Tunisie, travail autour du film C’est assez bien d’être fou... Ce pan du projet est développé par Lilas Carpentier, graphiste. « Bilal pouvait évoquer un fonctionnement proche des artistes d’art brut. Incapable d’expliquer ce qu’il faisait, c’était de l’ordre du surgissement, de la nécessité. Il s’agit ainsi dans ce projet d’édition de faire sentir le bouillonnement, la profusion d’idées ». Les porteurs du projet espèrent pouvoir tirer mille exemplaires de ce coffret, qui seraient distribués gratuitement dans des médiathèques intéressées partout en France.

Autour d’Antoine Page et Lilas Carpentier « se sont réunis collaborateurs, artistes et amis, au sein de l’association La Maison du directeur ». Le réalisateur est aidé pour un mois par quatre stagiaires, étudiants de l’Institut européen du cinéma et de l'audiovisuel de Nancy, pour tout ce qui est communication, pochoirs, réalisation d’affiches, montages vidéo…  Le projet « d’envergure » est sur le site de financement participatif Ulule : l’objectif est de recueillir au minimum 50.000 euros de dons, sur un budget total prévisionnel un peu fou (mais détaillé) de 150.000 euros...

Newsletter

Lisez la Lettre de Factuel

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER !