Lait, comté et réchauffement climatique

comte

Le 13 mars dernier, à Pontarlier, la Salle Morand était pleine à craquer pour écouter Mathieu Cassez, ingénieur agronome, parler des conséquences du réchauffement climatique sur la production du lait à comté. Plus de 150 personnes – en majorité des agriculteurs - avaient ainsi répondu à cette initiative de la Confédération Paysanne. En Franche-Comté, l'AOP comté c'est 2500 exploitations, 150 fruitières et 13 affineurs, soit 14 000 acteurs qui vivent directement de la filière. C'est dire son importance. En se gardant « d'être Madame Irma », Mathieu Cassez s'est livré à un exercice difficile mais ô combien important : d'abord évaluer les conséquences du réchauffement sur la pousse de l'herbe en abordant différents scénarios, puis en évoquant différentes mesures d'adaptation.

Les conséquences d'un réchauffement bien réel

La sècheresse de l'été 2018 a sans doute convaincu les derniers sceptiques sur la réalité du réchauffement climatique. Il y a même des scénarios catastrophe où le climat de Besançon ressemblerait à celui de la Toscane en 2050 et à celui de la Grèce en 2080, avec une augmentation de + 4 °C en 2100. Dans ces conditions, y aura-t-il encore des vaches et du comté en 2050 ? Ou bien les paysans francs-comtois devront-ils passer à l'élevage des chèvres ?

Ce qui est sûr, c'est que le réchauffement va modifier la pousse de l'herbe. Les chercheurs ont modélisé cette évolution : la pousse sera plus précoce, mais elle va être interrompue pendant l'été pour reprendre un peu à l'automne si la sècheresse ne dure pas trop longtemps. En effet, la période sans pluie pourrait durer jusqu'à quatre mois et demi. Une partie variable du fourrage devra donc servir à nourrir les vaches pendant l'été.

Mais ce n'est pas la seule difficulté puisque la météo va devenir aussi plus chaotique. On prévoit au printemps des épisodes de fortes pluies, à plus de 50 mm par jour. Dans ces conditions, dans des prairies détrempées, le pâturage des vaches risque de saccager les sols et il sera difficile de récolter et de sécher le foin.
Globalement, le rendement dans la production d'herbe va forcément diminuer sensiblement sur l'année, de 14 % dans le scénario le plus optimiste, mais de 23 % dans un scénario pessimiste. L'élevage franc-comtois va bien devoir s'adapter.

Pour s'adapter, faudra-t-il diminuer la production laitière ?

Mathieu Cassez pose d'entrée, les deux directions à prendre pour s'adapter : soit on peut trouver les moyens de compenser la baisse de la production d'herbe, soit il faudra diminuer le nombre de vaches. Comme la durée de la pousse de l'herbe va globalement décroître, on peut éventuellement améliorer la gestion des effluents (fumier, lisier), avoir davantage recours aux engrais ou augmenter la part de prairies artificielles. Mais ce sont des solutions qui posent aussi d'autres problèmes, notamment environnementaux. Les agriculteurs pourraient avoir recours à l'achat de fourrage ou de davantage d'aliments complémentaires. Mais ça reste des solutions à la marge.

Le conférencier en vient donc au deuxième terme de l'alternative, la réduction du nombre de vaches. Le chargement actuel moyen est de 1 UGB / ha UGB : Unité de Gros Bétail, c'est l'équivalent d'une vache laitière adulte. Une brebis, par exemple, ne vaut que 0,15 UGB, une génisse de 300 kg environ 0,5 UGB., il faudrait passer à 0,7 ou 0,8 UGB  / ha et donc inverser la tendance de ces dernières années qui a été à l'intensification. La densité laitière actuelle est, selon les fermes de 2000 l à 4000 l de lait /ha. Mais ces dernières années, 20 % des élevages sont passé de 3000 l à 4 000 l. Dans le contexte du réchauffement, cette tendance va s'inverser.

Et si on passait toute la filière comté au bio…

Pour l'instant, la filière comté se porte bien. Entre 2014 et 2018, le lait à comté est passé, en moyenne de 460 à 533 € la tonne, alors que le lait « standard », nettement moins bien rémunéré subissait les fluctuations du marché. Pourtant cette croissance n'a pas mieux rémunérer le travail, puisque le surplus de revenu a été dépensé en achat d'engrais ou d'aliments, en mécanisation ou en investissements dans les bâtiments. Un représentant du Crédit agricole a confirmé, dans le débat, qu'il y avait bien du sur-investissement.

Le conférencier en vient à aborder la question des nouveaux enjeux dont il faudra bien tenir compte :
la nécessaire réduction des gaz à effet de serre. Or le recours à trop d'aliments complémentaires (soja) ou l'artificialisation des prairies les augmentent.

La préservation de la ressource en eau. A 0,7 UGB / ha, les conséquences sur les nappes phréatiques et les rivières seraient moindres.

La limitation de l'érosion de la biodiversité, provoquée par l'intensification.

La limitation de l'impact sur les paysages en arrêtant la pratique du « casse-cailloux ».

Si la croissance de la production laitière ne signifie pas forcément une amélioration du revenu des agriculteurs, la baisse de volume pourrait néanmoins permettre le maintien du chiffre d'affaire, grâce à l'augmentation des prix, à condition de passer à l'Agriculture biologique. Pour Mathieu Cassez : « Soit on organise la décroissance, soit on va la subir par le climat, dans la douleur ». La généralisation du bio dans les cantines scolaires pourrait soutenir la filière bio généralisée dans la production du comté.

Ne pas oublier les questions politiques

Le scénario « Vert », celui du passage au bio, pourrait s'appuyer sur un cahier des charges renforcé du comté pour limiter la taille et la productivité des exploitations et favoriser des pratiques respectueuses de l'environnement. D'ailleurs Claude Vermot-Desroches, l'ancien président du CIGC CIGC : Comité Interprofessionnel de Gestion du Comté. Il comprend des représentants des producteurs de lait à comté, des fromagers (coopératives et privés) et des affineurs. C'est le CIGC qui rédige le cahier des charges et qui définit chaque année la quantité à produire. et Alain Mathieu, le nouveau, étaient présents au débat, pas convaincus par le « tout bio », mais tous deux bien décidés de s'impliquer dans la recherche de solutions collectives exigeantes. Mais M. Cassez souligne que ce type d'organisation de la filière AOP est à contre-courant de la mondialisation et du « tout concurrentiel ». Il lance une boutade : « Pour les tenants à Bruxelles de la concurrence libre et non faussée nous devons être considérés comme une organisation de malfaiteurs… ».

Le réchauffement climatique exige une révision conséquente de la PAC PAC : Politique Agricole Commune. qui est un enjeu important des prochaines élections européennes. Depuis sa naissance en 1962, c'est la vision néo-libérale qui s'est imposée : toujours plus de compétitivité pour produire au prix le plus bas, pour l'exportation. Ce modèle profite avant tout aux géants de l'agrochimie et de l'agroalimentaire. Il a eu des conséquences catastrophiques d'abord sur l'emploi par la disparition d'un grand nombre de paysans, mais aussi sur la biodiversité et sur la pollution de l'eau, de l'air et des sols avec comme conséquences des problèmes majeurs de santé publique. Dans la tradition des fruitières, les producteurs de lait à comté ont réussi à s'organiser collectivement et à résister au moins partiellement à ce modèle par une maîtrise des quantités produites, de la qualité et des prix. Une Politique Agricole ET Alimentaire Commune pourrait s'en inspirer. Il s'agirait d'encourager et de soutenir une agriculture qui réponde aux attentes des citoyens : alimentation saine, produits de qualité, respect du bien-être animal, maintien de la biodiversité, généralisation du bio, pratiques agro-écologiques … Une telle agriculture serait favorable à l'emploi et permettrait, comme le montre le prix du lait dans les territoires en AOP comté, une rémunération plus équitable de ses paysans.

Merci à la Confédération Paysanne d'avoir permis ce débat.

Commentaires

  • Mathieu Cassez est l’auteur d

    Mathieu Cassez est l’auteur d’un article technique intitulé Du Comté au lait de brebis que Factuel a publié le 25 janvier 2019 et accessible ici. Il a également accordé un entretien à Factuel, intitulé « Organisez la décroissance ou le réchauffement le fera pour vous », à lire … pour les abonnés !

  • Bonjour et merci pour cet

    Bonjour et merci pour cet article bien intéressant.

    Quand vous dites que le CIGC n’est pas convaincu par le « tout bio » mais est « décidé à s’impliquer » avez vous idée de ce vers quoi ils veulent s’impliquer ?

    J’ai souvenir que la Voix du Jura avait publié un article sur les 5 scénari possibles pour l’avenir de la filière à Comté : le scénario retenu par la filière peut-il être « encore plus de technologie et de fuite en avant » ?

    Le CIGC a des liens avec les chambres d’agricultures : celles-ci ont du mal à tirer des conclusions des changements qui s’imposent à elles (changements climatique et sociaux). Quelle est l’influence de la FNSEA sur le CIGC ?

    Vous parlez de débat : en dehors des présidents du CIGC, quelles ont été les réactions des éleveurs présents ? Etaient-ils déjà tous acquis à un changement de pratiques vers plus de Bio ?

    Merci pour vos précisions.

    Bien cordialement

    Lucie

     

    • Le CIGC a forcément des liens

      Le CIGC a forcément des liens avec les chambres d’agriculture, mais n’est pas à leur botte ! Par exemple, le précédent président du CIGC, Claude Vermot-Desroches, a été 1er vice-président de la chambre d’agriculture du Doubs où je l’ai souvent entendu défendre non pas la position de la FNSEA bien qu’il figurât sur sa liste, mais la position du CIGC. Autrement dit une résultante des débats réguliers entre les quatre collèges constituant le CIGC (producteurs, coopératives, affineurs, commerçants) mais aussi entre les syndicats qui y sont représentés, dont la Confédération paysanne.

      Son successeur, Alain Mathieu, est dans la même logique consistant à viser la préservation de l’unité de la filière tout en ayant une vision à plus long terme, intégrant les questions environnementale et climatique. Il ne faut en outre jamais perdre de vue que le pilotage d’une ferme, a fortiori de plusieurs fermes dans le cadre d’une coopérative, s’inscrit dans un temps assez long, ne serait-ce en raison du travail avec le vivant. 

      La Confédération paysanne a ainsi avancé ses propositions au sein du CIGC, dans le cadre de l’actuelle révision du cahier des charges de l’AOP, pour limiter la production par ferme, par vache, par hectare, par humain (Factuel en a parlé, voir ici)… Certaines n’ont pas été acceptées au niveau revendiqué, mais ce ne sont pas non plus les niveaux proposés par la FNSEA qui ont prévalu : on est plutôt dans un entre deux. D’autres ne sont pas tranchées.

      Il faut dire que les FDSEA du Doubs et du Jura sont partagées entre productivistes (en gros les animateurs de la FNPL, la branche lait de la FNSEA) et des paysans ne trouvant pas farfelues les propositions régulatrices de la Conf. En tout cas, tous regardent avec une grande acuité ce disent les consommateurs du comté, mais aussi les environnementalistes et les scientifiques. Tous ? J’exagère sans doute, mais ils sont beaucoup à redouter une atteinte à l’image du comté que pourrait constituer une plus grande médiatisation de son impact sur les milieux. La prise de conscience n’est pas générale, mais elle progresse assurément.

    • Je vais essayé de répondre

      Je vais essayer de répondre aux différentes questions.

      Le CIGC a bien conscience que le système AOP a permis une certaine maîtrise des quantités, de la qualité et des prix. Il suffit de comparer avec les prix du lait en Bretagne. La révision en cours du cahier des charges montre la bagarre entre des ultra-productivistes et des paysans plus raisonnables qui savent bien qu’il faut tenir compte de l’environnement et ne pas ternir l’image du comté par des pratiques destructrices des paysages ou de la biodiversité. Pour l’instant ce sont les « raisonnables » qui ont gagné, mais ils ne sont pas tous prêts à aller vers le tout bio, même s’il semble que le bio progresse. Par contre ils sont tous partisans d’un certain durcissement du cahier des charge et de la nécessité de trouver des adaptations au dérèglement climatique.

      Pour l’instant, le CIGC essaie de limiter la taille des exploitations, mais c’est parfois compliqué pour les GAEC à 4 ou 5 personnes. Il a décidé aussi d’interdir les robots de traite, d’imposer que dans la majorité des cas les vaches broutent dans les prés l’été en empêchant une généralisation de l’apport d’herbe coupée. Il veut interdire l’emploi des herbicides etc…

      Concernant les éleveurs présents à Pontarlier. Après l’épisode de sècheresse de cet été, aucun climatosceptique ne s’est exprimé et les paysans semblaient tous conscients que le dérèglement climatique c’est déjà maintenant.

      Ce qui a été remarquable à Pontarlier, c’est que le dialogue soit possible entre tous, qu’ils soient à la FNSEA, à la Chambre  ou à la Conf’, sans animosité comme si tous étaient bien conscients de la gravité de la situation et de la nécessité d’y faire face collectivement.

      Gérard.

      • Interdire l’emploi des

        Interdire l’emploi des pesticides… quand on voit tout ce qui a été mis sur les prairies artificielles deux jours avant cette dernière neige, en tant que riverains, on en rêve !!!

        Merci pour ces informations moins alarmistes qu’à l’habitude.

         


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