Néonazis et extrême-droite de retour dans les bars à Besançon

Mein Kampf et alcool ne font pas bon ménage. À Besançon, le petit milieu néonazi investit de nouveau les bars, entraînant nuisances et violences. Affichant sans détour leurs opinions haineuses, ses membres jouent des coudes et des poings pour s’imposer, ce qui rappelle la vague d’agressions des années 2012-2013 dans la ville. Certains sont bien identifiés et étaient déjà là à cette époque, beaucoup sont passés par la Légion étrangère et partagent le goût des armes. Une vidéo montre aussi des militants d’extrême droite s’entrainer au combat dans la forêt.

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Vendredi 29 novembre, au Shake Pint (anciennement Carpe Diem) place Jean Gigoux dans le quartier Rivotte. Il est 23h30 passées. Grégoire consomme une bière et remarque un groupe qui « détonne et se détache ». Une demi-douzaine d’individus, crânes rasés et look bonehead, sont attablés là. Sans raison apparente, l’un d’eux lance un verre en direction de plusieurs jeunes femmes présentes un peu plus loin.

Elles se sont alors levées, exigeant des explications. Grégoire assiste à un échange surréaliste. « Comment vous appelez-vous ? » demande l’une d’elles. « Moi, c’est Sanglier » répond assurément un quarantenaire de la bande. Un pseudonyme bien connu dans le milieu de l’extrême droite radicale et identitaire, nous y reviendrons. « Et qu’est-ce que tu fais dans la vie ? » « Moi, je suis néonazi ! » La réponse ne convainc guère l’interlocutrice qui réplique : « ce n’est pas un métier, dis plutôt que t’es au RSA. » Un serveur intervient pour éviter la surenchère devant la tension qui montait.

Une autre témoin ayant assisté à la scène raconte : « Ces fachos semblent bien connus par ici, et tout le monde en a tellement peur que personne ne dit rien. » Le responsable du Shake Pint n’a donné aucune suite à nos multiples sollicitations. Il publiera une annonce sur Facebook le lendemain des faits, « condamnant fermement et s’excusant » pour ce qu’il juge être un « incident. » Sanglier n’a pas non plus souhaité répondre à nos sollicitations.

 

Un regroupement autour de Sanglier ?

Après un retour remarqué dans la capitale comtoise au printemps 2018, le « chef », Sébastien F. dit Sanglier, a dû se mettre quelque temps au vert. Ancien légionnaire, il a été mis en examen et incarcéré le jeudi 17 janvier 2019, accusé d’avoir pris part au saccage de l’Arc de Triomphe à Paris le 1er décembre 2018 dans le cadre du mouvement des « Gilets jaunes ». Il a été blanchi de ces accusations, mais le parquet de Besançon avait ouvert une enquête après la découverte à son domicile de plusieurs fusils, dont un à pompe, des machettes, baïonnettes, poignards et poings américains cloutés. Il y avait aussi un portrait et une photo d’Hitler, des drapeaux nazis et du GUD, une carte de membre de Troisième voie. Libéré courant mai, il avait jusqu’alors fait profil bas.

Depuis la rentrée, d’autres faits sont à signaler. Aldo, assistant d’éducation encarté à gauche, raconte une altercation le 7 novembre au soir. Sortant d’un restaurant, il s’arrête pour saluer une vieille connaissance au Pub de l’Étoile, au bout de la Grande rue, un certain Alexandre M., visiblement alcoolisé et en compagnie de plusieurs personnes affichant leurs sensibilités sur leurs écussons. Le ton monte quand la nature « antifasciste » d’Aldo est révélée par Alexandre M. qui exige « qu’il ne soit pas touché ». L’histoire en restera là. Malgré les apparences, l’épisode n’est pas anodin.

Originaire de Haute-Saône, l’engagement d’Alexandre M. n’a cessé de croître depuis son arrivée il y’a un an dans la ville. Réputé « bavard », l’intéressé a évoqué devant témoins le regroupement des différentes forces « nationalistes » du secteur autour de « Sanglier ». D’après lui plusieurs faits d’armes ont d’ailleurs été commis afin de gagner la confiance du « chef », notamment le saccage de véhicules de supporters algériens lors de la célébration de la victoire de l'équipe algérienne de football à la CAN, ainsi que des tests d’aptitude au combat avec les « Zouaves » de Paris dont il exhibait des vidéos. Se fixeraient-ils un territoire à contrôler ?

Des runes et des soleils noirs

 

 

Deux jours après cette rencontre, samedi 9 novembre, trois individus remontent de la cave du Titty Twister dans le quartier Battant en scandant des chants vantant « la France éternelle ». Plusieurs habitués du bar engagent alors la conversation pour en savoir plus. Outre les références musicales, ceux-ci arborent des runes, des « soleils noirs », et un patch du groupe NSBM « Komando Peste noire », cousus sur leurs vêtements. Les clients s’en sont moqués sans agressivité.

L’une des cibles de ces sarcasmes, décrit comme « grand et crâne rasé », s’énerve et invite alors son interlocuteur à « régler cela dehors à un contre un ». C’est « dans un square annexe et à la loyale » que le conflit s’engage. Après un premier coup donné par le « patriote », celui-ci est rapidement corrigé. Une débandade qui provoque la réaction d’un de ses deux amis qui tente un coup par derrière en hurlant « on est du GUD » avant d’être lui aussi maîtrisé.

L’algarade s’arrête là. Y’a-t-il un lien avec le groupe de Sanglier ? Difficile à dire. D’après certains observateurs présents, ces fêtards d’extrême-droite semblent isolés et pourraient être originaires d’en dehors de la cité, voire de la région. Sly’, le propriétaire du bar, a déjà dû faire face à des néonazis. « Sanglier et les siens passaient du temps ici peu après l’ouverture en décembre 2008. Je les ai retrouvés, debout sur les tables, à gueuler des chants nazis et à faire des Sieg heil. J’ai décidé de les bannir, malgré les intimidations qu’ils continuent à faire les rares fois où il passe dans le coin. Pendant des années, j’ai dû gérer cette réputation pourrie. »

« Ils se sont acharnés sur lui, le gars était en sang »

 

En janvier dernier, c’est devant le Madigans sur la place du Huit-septembre qu’une agression violente avait été perpétrée. Quatre amis en train de prendre un verre voient un homme, décrit comme militaire et probablement antillais, se faire tabasser vers l’Église Saint-Pierre par une dizaine d’individus précédemment attablés un peu plus loin.

Alice, encore choquée, se remémore. « On n’a pas vu les tenants et aboutissants initiaux de cette rixe. Ce que je sais, c’est qu’ils se sont acharnés sur lui. Le gars était en sang, et eux paradaient triomphalement. J’étais scandalisée. Je leur ai hurlé qu’ils n’étaient que des lâches ». Alors qu’insultes et menaces commencent à pleuvoir, le quatuor préfère se mettre à l’abri en gagnant l’intérieur du commerce. « En souhaitant ressortir peu après, les choses se sont emballées sans même avoir le temps de comprendre et de réagir ».

Alice poursuit : « L’un d’entre eux m’a violemment poussée contre une des tables. Un de mes amis, essayant de s’interposer, a alors été secoué et a pris des coups, sans gravité. Mes deux autres compères ont réussi à nous extraire pour nous remettre en sécurité, alors que les filles du groupe adverse ont sorti des bombes lacrymogènes. Heureusement, nous avons finalement pu partir sans autres dommages ». Si aucune personnalité du milieu n’a pu être formellement reconnue, il n'y a pas de doute qu’il s’agissait de militants d’extrême droite avec « leurs look, crânes rasés, bombers, et tatouages, leur façon de procéder, violente et organisée, et le fait qu’eux-mêmes se revendiquaient comme « nationalistes ».

 

Ces méfaits sont à ajouter à la longue liste des agressions menées par des militants d’extrême droite ces derniers temps, au sein de l’Université de Strasbourg le 12 décembre et dans plusieurs bars du Mans le samedi 14 décembre. Dans la nébuleuse néonazie locale, beaucoup sont passés par la Légion, ils ont en commun l’armée, la violence, le goût des armes et un ultranationalisme assumé.  Comme l’attestent de nombreux documents, Philippe T. a par exemple brièvement rejoint le Dombass au sein du régiment Azov, une unité paramilitaire de volontaires d’extrême droite ukrainienne qui a combattu l’insurrection armée pro-russe jusqu’en 2014. Tout récemment, les acolytes se sont filmés dans la campagne autour de Besançon lors d’entraînements collectifs à la baston. À quelles fins ?

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